1ère partie
Journal de Mathilde
Avril
Je suis Mathilde.
J'habite la maison de Magritte, celle éclairée du dedans, celle qui arrête le promeneur du soir parce que quelque chose d'étrange, sûrement, s'y passe, ou va s'y passer...
Dans un instant, j'apparais sur le perron.
La lumière me projette, l'ombre cache mon visage.
Je suis prise entre leurs feux.
Je n'ai plus d'âge.
Les doigts de ma main droite pianotent dans le vide, frôlent parfois le tissu de ma robe.
Ce serait l'été.
(...)
2ème partie
Calendrecru
Dans la lumière de la mémoire, la maison de mon enfance apparaît vaste comme un labyrinthe.
Sur les lieux règne la terreur du forgeron. L’ogre est mon oncle Antoine. Il possède une femme, une chose grise, régie par la terreur que lui inspirent les bouffées volcaniques de son époux, naturellement teigneuse avec le tout venant. Il a aussi une soeur cadette, qui n’est autre que ma blonde fluide mère, que j’appelle “Doucement” en cachette. Elle lui glisse entre les doigts. Elle l’exaspère. Depuis toujours elle est son tourment.
Il l’aime en secret. Ce doit être ça.
Dans des circonstances qui demeurèrent à jamais obscures, Doucement conçut hors mariage la Mathilde que je suis et réussit à cacher son forfait jusqu’à ma naissance.
Je suis née un joli printemps de 1905, ô divine surprise. Ma mère avait tout juste vingt ans.
(...)
3ème partie
Le feu brûle
"Chacun d'entre vous ne souhaiterait-il pas posséder un jardin
planté de palmiers et de vignes,
où coulent les ruisseaux
et qui contiendrait toutes sortes de fruits..."
Samir voulait juste un jardin.
Même simplement un jardin de pierre, un village perdu sur un plateau balayé par les vents, une école que la tempête malmenait régulièrement, brisant les vitres, arrachant les tuiles du toit.
Alors que la barbarie faisait rage tout autour, il lui avait semblé digne d'un homme de planter envers et contre tout sur le champ des batailles la vérité d'une vie simple consacrée à construire les êtres et les choses. C'était son héritage. Celui que lui avait légué Hassan.
Et il avait dit oui. Pour un fragile cercle de paix au centre duquel il avait posé, sans trop réfléchir, une petite montagnarde de femme au rire solide et à la parole rare.
Oui pour la rivière sauvage.
Et pour un fils au front d'amande douce.
Je n'ai pas su protéger ceux que j'aimais.
Sur quelle planète n'est jamais trahie la promesse muette faite à la fiancée?
(...)