Quelques mots sur la genèse de Mathilde
J'ai mis très longtemps à écrire "Mathilde", sur une période de plus de dix ans, je crois. Au départ, clairement, la disparition d'une parente très proche.
Comment faire. Comment lui faire honneur... Je lui ai donné très vite cette Mathilde qui lui ressemble par ce je-ne-sais-quel panache qui la caractérisait à mes yeux.
Pour le reste, pure roue libre de la fiction, avec sa dimension de compensation : ma Mathilde tient un journal, loge dans le Sud, à deux pas de chez moi, se voit offrir de la compagnie pour briser la solitude du grand âge et terminer ses jours entourée. Ainsi avance la première partie de mon roman.
Certains faits, certains gestes de la "vraie vie" font étincelle. Ma parente m'a vraiment donné quelques feuillets tapés à la machine, des nouvelles sur ses années de jeunesse au tout début du vingtième siècle : vois si tu peux en faire quelque chose, moi j'écris trop sec m'avait-elle dit. Cela donnera la seconde partie du livre.
La troisième partie met en scène Billie (la nièce de Mathilde) et Samir. D'où sort-il, celui-là? Pourquoi avoir fait entrer dans l'histoire d'une fin de vie un personnage venu d'un ailleurs sanglant?
Nul ne saurait être parfaitement au clair (et quel intérêt?) de ce qui circule en soi à la manière de rivières souterraines mais je vois quelques indices, quelques repères.
D'abord mon intime et forte conviction que vivre sur le pourtour méditerranéen crée entre ses habitants un lien particulier. Phénomène Mare Nostrum.
Et puis une phrase prononcée par deux amis saltimbanques invités à jouer dans un festival à Alep dans les années 80, revenus glacés par l'atmosphère de la dictature de Hafez al-Assad : "tu sens que la vie ne vaut pas grand chose, qu'il suffit d'un rien pour que le coup parte"...
Et le choc de ce livre du reporter britannique Robert Fisk, "Pity the Nation", rapportant le martyre de la ville de Hama en 1982, entièrement bouclée et livrée aux massacres de la répression.
J'ai beaucoup travaillé cette partie. Je suis aussi allée chercher du côté du cinéma où j'ai découvert le film "La Nuit" du réalisateur syrien Mohamed Malas, dont les images m'ont longtemps habitée.
Et pour le reste, la grande question, qui m'a toujours hantée : la guerre là-bas, la paix ici, au même moment, au même instant T... Comment vivre avec ça?
Lorsque j'ai écrit "Mathilde" dans les années 1990-2000, je ne me doutais pas que le massacre de Hama, qui était passé presque inaperçu à l'époque, allait se reproduire au centuple en Syrie plus de vingt ans plus tard sous l'égide de Bashar Al-Assad.
Froid dans le dos.
Enfin Billie et Samir : une brève rencontre, un soir d'amour. Tout compte.
J'ai souvent ces vers d'Aragon qui chantent dans ma tête :
... Est-ce ainsi que les hommes vivent
et leurs baisers au loin les suivent
comme des soleils révolus